Vivre la Révolution, entre Paris et Grenoble
Raymond-Pierre de Bérenger se trouve à Paris et son homme d’affaires, Jean-Baptiste Aimard, en Dauphiné, lorsque les premiers événements révolutionnaires éclatent. La correspondance entre les deux hommes, conservée dans les archives constitue un précieux témoignage de ces moments clefs.
Le 15 juillet 1789, le marquis écrit à Jean-Baptiste Aimard pour lui faire part des événements parisiens de la veille :
« […] le trouble qui existe depuis longtemps dans la capitale fait oublier ses propres affaires, […] le prévôt des marchands de la ville ainsi que le gouverneur de la Bastille ont été décolé par le peuple hier, et leurs testes portées en triomphe dans les rues de Paris, qui est fort calme et fort tranquille aujourdui, les bourgeois y font la police et nous délivre de toute la canaille qui s’y etoient introduits. Il y a des gens bien mal intentionnés qui soufflent le feu de la discorde. Il faut esperer qu’a la fin nous aurons de la tranquillité ».
Prise de la bastille le 14 juillet 1789 et arrestation du gouverneur M. de Launaye, huile sur toile de Jean-Baptiste Lallemand,1790. © Coll. Musée de la Révolution française / Domaine de Vizille.
Jean-Batiste Aimard évoque dans ses lettres l’épisode de la Grande Peur. De juillet 1789 à août 1790, des rumeurs inquiétantes se répandent : des brigands menacent d’égorger les paysans, de brûler les villages et de piller les récoltes. Les campagnes sont en alerte, les paysans s'arment et des milices villageoises se forment. Aimard fait mention d’une panique générale sur les terres de Sassenage. Le château risque d’être incendié mais les habitants de la ville se déclarent prêts à le défendre : les aménagements lancés par Raymond-Pierre depuis Paris fournissent du travail à des journaliers et manœuvres des environs, qui ont besoin de leur revenu dans un contexte de crise alimentaire. Le Château sera donc épargné, comme la plupart des domaines dans le baillage du Grésivaudan.
Cependant, les incidents se multiplient dans Paris, causant l’inquiétude d’Aimard quant au devenir du Marquis :
Lettre de Jean-Baptiste Aimard à Raymond-Pierre le 5 Novembre 1789 : « Sortés, je vous en conjure, de cette misérable ville [Paris], je vai mettre toute la scelerité possible pour faire finir votre château pour que vous puissiez l’habiter en avril ou tout au moins au commencement de may ».
Après être venu s’installer à Sassenage, Raymond-Pierre de Bérenger est arrêté, le 28 Avril 1793 (en pleine Terreur) et écroué à Grenoble avec son homme d’affaires. Leurs noms figurent sur la liste des suspects, à emprisonner immédiatement, pour le département de l’Isère. Après un an et cinq mois de détention, Aimard est finalement libéré. Transféré à la prison de la Conciergerie, le marquis de Bérenger, qui n’a donné aucune preuve d’incivisme, est libre de retourner vivre à Sassenage, le 2 novembre 1794.
Durant la détention de son époux, Marie-Françoise-Camille de Bérenger (1738-1810) réside au château de Sassenage, désormais meublé. Pour ne pas être inquiétée, elle se comporte en citoyenne irréprochable et manifeste son soutien à la République en faisant don de draps, de couvertures et de matelas pour l’armée des Alpes.
« Sauve la vie »
Le devenir des trois enfants de Marie-Françoise-Camille et Raymond-Pierre de Bérenger témoigne des épreuves subies par la noblesse sous la Révolution.
Françoise-Camille de Bérenger, mariée au Duc de Saint-Aignan, est arrêtée avec son époux en Mai 1794. Après un jugement au tribunal révolutionnaire, son mari est guillotiné, mais elle, enceinte de trois mois, voit son exécution repoussée à la naissance de l’enfant. L’exécution de Robespierre, en Juillet 1794, mettant fin à la Terreur, les charges retenues contre Françoise-Camille sont alors abandonnées. Elle donne naissance le 1er Janvier 1795 à une petite fille, Pauline-Arthémie, qu’elle aurait surnommée « Sauve la vie » !
Portrait présumé de Françoise-Camille de Bérenger, sauvée durant la Terreur grâce à son enfant. Pastel de M.Vassel, 1791. © Château de Sassenage / Collections.
Des intérieurs remaniés au 18esiècle
Loué à un entrepreneur en vue d'y installer une Manufacture de dentelle (la Blonde), le Château subit, de 1770 à 1784, des dommages importants. Peu soucieux d'honorer leur engagement (réaliser des réparations utiles au bâtiment), les entrepreneurs de la fabrique y logent près de 400 jeunes filles orphelines ou abandonnées, censées être formées au métier de dentellière. Les mauvaises conditions de vie des jeunes filles et les dégâts causés dans le château motivent, en 1784, la décision de Raymond-Pierre : le bail n'est pas renouvelé.
Dès lors, la famille reprend le domaine en main. Les travaux commandés par le marquis de Bérenger occasionnent alors un bouleversement dans l’agencement des pièces afin d’adapter la demeure aux normes et à l’art de vivre en vigueur.
De nombreuses cloisons sont installées, permettant d’optimiser la distribution des appartements et de créer des espaces spécifiques : cabinets (ou boudoirs) et garderobes (cabinets de toilette). Au rez-de-chaussée, Raymond-Pierre de Bérenger fait aménager une bibliothèque. Des entresols sont également construits pour créer de nouveaux logements destinés aux domestiques.
Le deuxième étage est entièrement aménagé. Au 17e siècle, ce niveau correspondait aux combles et ne comptait que quatre pièces. À la fin des travaux commandés par le marquis, on en dénombre dix-sept, essentiellement réservées aux invités, aux domestiques ou au rangement.
Photo du bandeau © Etienne Eymard Duvernay / Château de Sassenage
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